XVIIIe SIÈCLE
L
e xviiie siècle commence, avec la fin lamentable de Louis XIV, dans un besoin de reaction qui se fait sentir dès les dernières années de son règne. Les coups répétés du sort frappent le vieux monarque. Aux anciennes magnificences de la cour succèdent les parades concertées pour tromper son orgueil survivant encore à sa décrépitude. Tout se relâche, tout se détend au milieu de 1 anarchie du pouvoir. L art déserte peu à peu la cour maussade de cette ombre royale qui s’étend, triste, sur une société nouvelle, pour les hôtels, les « petites maisons », les « folies » et les « trianons » de princes et de grands seigneurs dissolus et de financiers enrichis. Il va devenir bientôt le protégé des favorites, des fermiers généraux et des filles d Opéra. Il perdra de sa tenue, de son style, de son unité, pour tout dire de sa grandeur et tombera la plupart du temps dans l élégance facile et la fécondité banale, dans la «manière ». Mais il retrouvera, à la faveur de ce désordre relatif et de cette indiscipline, d’autres qualités de race et, de plus, au milieu de tous les producteurs abondants et
affétés, s’affirment quelques belles individualités qui restent parmi les types les plus originaux de notre école et donnent à cette période un caractère qu on se plaît à reconnaître comme éminemment français.
La plupart des derniers décorateurs ou portraitistes que nous avons signalés à la fin du siècle précédent inaugurent le nouveau : les Covpel, les de La Tour, les Jouvenet, les Largillière et les Rigaud, en particulier, qui fournirent leur carrière presque jusqu à son milieu. Tout ce mouvement, nous 1 avons vu, s est produit sous l’influence nouvelle ou renouvelée des maîtres septentrionaux. L action de Rubens s’exerce avec de plus en plus d autorité; 1 exemple de Largillière, formé en Flandre, se marque sur ses élèves. On va de plus en plus se tourner vers les coloristes, du nord ou du sud, flamands ou vénitiens; et les petits maîtres de Hollande, si longtemps méprisés, vont être recueillis avec soin dans les collections tant royales que privées, trouvant, du reste, dans l’école de glorieux émules qui en procèdentet aident à les faire aimer et comprendre. Mais, à nulle époque de cette histoire, ces influences étrangères ne furent plus librement acceptées ni plus intelligemment assimilées. C’est le siècle de ces figures exceptionnelles de Watteau, de La Tour et de Chardin et aussi de ces maîtres inférieurs, mais si plaisants, si aimables, si distin
gués et toujours si «peintres» : les Boucher, les Greuze et les Fragonard.
Dans la grande peinture, il n y a plus guère d’actions d’éclat pour tenter le pinceau des artistes et les entraîner dans l’Histoire, ce qu’on appelait le « genre héroïque ». La mythologie et l’allégorie continuent par habitude académique, traditions adulatrices et aussi à Limitation du théâtre qui domine, à cette époque, toute l’inspiration.
La peinture puise à cette source la plus grande partie de ses sujets. La réalité propre du temps ne se trouve plus traduite ouvertement que d’une manière exceptionnelle par de rares yeux clairvoyants et de non moins rares esprits indépendants et supérieurs. Tout est vu au travers de la scène; il n’est pas jusqu’au portrait qu’on devrait croire à l abri de ces effets, qui ne se montre à nous, souvent, sous les affublements singuliers des divinités de la Fable ou des entités surannées de l’allégorie, sous les déguisements des grands rôles du jour ou les accoutrements exotiques suivant la mode des ballets de l’Opéra. Quant au paysage qui, lui, assurément, avait tous les motifs d’échapper à cette action, il n’y peut, lui-même, résister et la plupart du temps la nature n’est vue que comme un décor majestueux ou familier.
JEAN-ANTOINE WATTEAU JEUNE FILLE A SA TOILETTE
Coll. Wallace.
Troisième article de La Peinture française
L
e xviiie siècle commence, avec la fin lamentable de Louis XIV, dans un besoin de reaction qui se fait sentir dès les dernières années de son règne. Les coups répétés du sort frappent le vieux monarque. Aux anciennes magnificences de la cour succèdent les parades concertées pour tromper son orgueil survivant encore à sa décrépitude. Tout se relâche, tout se détend au milieu de 1 anarchie du pouvoir. L art déserte peu à peu la cour maussade de cette ombre royale qui s’étend, triste, sur une société nouvelle, pour les hôtels, les « petites maisons », les « folies » et les « trianons » de princes et de grands seigneurs dissolus et de financiers enrichis. Il va devenir bientôt le protégé des favorites, des fermiers généraux et des filles d Opéra. Il perdra de sa tenue, de son style, de son unité, pour tout dire de sa grandeur et tombera la plupart du temps dans l élégance facile et la fécondité banale, dans la «manière ». Mais il retrouvera, à la faveur de ce désordre relatif et de cette indiscipline, d’autres qualités de race et, de plus, au milieu de tous les producteurs abondants et
affétés, s’affirment quelques belles individualités qui restent parmi les types les plus originaux de notre école et donnent à cette période un caractère qu on se plaît à reconnaître comme éminemment français.
La plupart des derniers décorateurs ou portraitistes que nous avons signalés à la fin du siècle précédent inaugurent le nouveau : les Covpel, les de La Tour, les Jouvenet, les Largillière et les Rigaud, en particulier, qui fournirent leur carrière presque jusqu à son milieu. Tout ce mouvement, nous 1 avons vu, s est produit sous l’influence nouvelle ou renouvelée des maîtres septentrionaux. L action de Rubens s’exerce avec de plus en plus d autorité; 1 exemple de Largillière, formé en Flandre, se marque sur ses élèves. On va de plus en plus se tourner vers les coloristes, du nord ou du sud, flamands ou vénitiens; et les petits maîtres de Hollande, si longtemps méprisés, vont être recueillis avec soin dans les collections tant royales que privées, trouvant, du reste, dans l’école de glorieux émules qui en procèdentet aident à les faire aimer et comprendre. Mais, à nulle époque de cette histoire, ces influences étrangères ne furent plus librement acceptées ni plus intelligemment assimilées. C’est le siècle de ces figures exceptionnelles de Watteau, de La Tour et de Chardin et aussi de ces maîtres inférieurs, mais si plaisants, si aimables, si distin
gués et toujours si «peintres» : les Boucher, les Greuze et les Fragonard.
Dans la grande peinture, il n y a plus guère d’actions d’éclat pour tenter le pinceau des artistes et les entraîner dans l’Histoire, ce qu’on appelait le « genre héroïque ». La mythologie et l’allégorie continuent par habitude académique, traditions adulatrices et aussi à Limitation du théâtre qui domine, à cette époque, toute l’inspiration.
La peinture puise à cette source la plus grande partie de ses sujets. La réalité propre du temps ne se trouve plus traduite ouvertement que d’une manière exceptionnelle par de rares yeux clairvoyants et de non moins rares esprits indépendants et supérieurs. Tout est vu au travers de la scène; il n’est pas jusqu’au portrait qu’on devrait croire à l abri de ces effets, qui ne se montre à nous, souvent, sous les affublements singuliers des divinités de la Fable ou des entités surannées de l’allégorie, sous les déguisements des grands rôles du jour ou les accoutrements exotiques suivant la mode des ballets de l’Opéra. Quant au paysage qui, lui, assurément, avait tous les motifs d’échapper à cette action, il n’y peut, lui-même, résister et la plupart du temps la nature n’est vue que comme un décor majestueux ou familier.
JEAN-ANTOINE WATTEAU JEUNE FILLE A SA TOILETTE
Coll. Wallace.
Troisième article de La Peinture française